Green AI : utiliser l’IA sans faire fondre la planète
L’intelligence artificielle ne vit pas dans le cloud — elle vit dans des serveurs, des datacenters et du silicium. Chaque fois qu’un modèle répond à un prompt, des GPU quelque part se mettent en marche, tirant des centaines de watts pour traiter quelques lignes de texte. Un seul accélérateur NVIDIA H100 peut consommer environ 700 watts en charge ; des clusters d’entraînement entiers peuvent atteindre une demande électrique comparable à celle de petites villes.
D’après l’ Agence internationale de l’énergie (AIE/IEA, 2025), la consommation électrique mondiale des datacenters dépasse déjà 415 TWh par an et pourrait dépasser 1 000 TWh d’ici 2030 — soit à peu près la consommation annuelle du Japon. Les charges IA représentent une part en forte croissance de cette courbe.
L’entraînement d’un grand modèle peut émettre des centaines de tonnes de CO₂ et consommer des millions de litres d’eau de refroidissement (MIT, 2025), tandis que le nombre de modèles déployés continue de se multiplier. L’efficacité progresse, mais la croissance va plus vite.
Le coût environnemental de l’IA n’est plus théorique. Il est physique, mesurable et s’accélère.
La responsabilité est partagée : les fabricants de puces comme NVIDIA, les hyperscalers, les créateurs de modèles et les fournisseurs cloud portent tous une responsabilité structurelle. Mais les utilisateurs ne sont pas passifs dans cette histoire. Chaque requête, chaque image, chaque génération de vidéo a une empreinte — et des milliards s’additionnent.
Apprendre à utiliser l’intelligence de façon responsable commence par comprendre cette réalité : l’IA n’est pas virtuelle — elle est physique, industrielle et gourmande en ressources. Elle transforme notre façon de travailler, de créer et de consommer de l’énergie, et nous partageons la responsabilité d’en alléger la charge. Tout comme nous avons appris à trier, à mettre la ceinture et à éviter de fumer en intérieur, le prochain virage culturel, c’est de comprendre ce que signifie une technologie « verte » — et comment nous utilisons l’intelligence elle-même.
Index : termes à connaître
- LLM (Large Language Model) : Modèle d’IA entraîné sur des données textuelles, généralement avec des milliards de paramètres (ou plus), utilisé pour des tâches comme écrire, répondre à des questions ou aider au code.
- Token : Petite unité de texte que le modèle lit ou écrit. Plus il y a de tokens, plus il y a de calcul — donc plus d’énergie consommée.
- GPU : Processeur graphique. Il alimente la plupart des calculs d’IA modernes et représente la majeure partie de la consommation énergétique d’un serveur IA.
- CPU : Processeur central. Plus lent qu’un GPU pour de gros workloads IA, mais souvent plus économe pour de petits modèles ou de l’inférence locale.
- PUE / WUE : Power Usage Effectiveness et Water Usage Effectiveness, des indicateurs qui expriment l’efficacité d’un datacenter en termes d’électricité et d’eau.
- Inférence : Moment où un modèle d’IA génère une réponse à partir d’un prompt. C’est la phase de « réflexion » de l’IA, qui s’exécute à chaque requête.
- Prompt : Instruction ou question envoyée à l’IA. Des prompts clairs et ciblés réduisent les essais/erreurs et les calculs gaspillés.
- Embedding / indexation sémantique : Méthode permettant à l’IA de créer une carte compacte du sens de documents déjà traités. Au lieu de tout relire à chaque question, elle peut aller directement aux passages pertinents.
I. Pourquoi les GPU comptent (et pourquoi ça vous concerne)
Les GPU sont le vrai moteur de l’IA moderne. Ils rendent les grands modèles rapides, mais ils les rendent aussi énergivores. Un seul NVIDIA H100 peut consommer jusqu’à environ 700 watts en charge élevée. Les nouveaux accélérateurs NVIDIA Blackwell B200, utilisés dans des systèmes datacenter DGX et HGX, peuvent atteindre environ 1 000 à 1 200 watts par unité en configuration pleine charge (Tom’s Hardware, 2024; Guru3D, 2024). L’entraînement d’un grand modèle peut nécessiter des milliers de ces GPU, tournant pendant des jours ou des semaines.
En comparaison, un CPU typique consomme environ 100–150 watts. L’écart n’est pas subtil. Les GPU sont fantastiques pour la performance, mais ils ne sont pas neutres pour le réseau électrique. Des rapports de Deloitte (2025) et de GreenIT - Impacts environnementaux et sanitaires de l’IA (2025) confirment que les serveurs IA peuvent consommer environ quatre fois plus d’énergie que les serveurs traditionnels, avec des durées de vie matérielles trois à cinq fois plus courtes.
Il existe des alternatives, surtout pour des workloads plus petits ou locaux. Des toolchains comme llama.cpp et MLC AI permettent de faire tourner certains modèles sur CPU ou sur des appareils basse consommation. De nouveaux accélérateurs comme Intel Gaudi 3 annoncent jusqu’à 30 % d’énergie en moins pour certains workloads IA par rapport à des setups GPU plus classiques. Des puces mobiles comme le Neural Engine d’Apple ou le DSP Hexagon de Qualcomm déplacent aussi une partie de l’inférence vers du matériel efficace sur l’appareil.
Pour l’instant, l’essentiel de l’IA dans le cloud repose encore sur une infrastructure très orientée GPU. En tant qu’utilisateurs, le levier le plus efficace est simple : choisir des modèles plus légers quand la tâche le permet, et éviter de réveiller un géant quand un petit cerveau suffit.
II. Green AI au quotidien : comment l’utiliser plus intelligemment
L’IA n’est pas magique : c’est de l’électricité, de l’eau et de la chaleur. Chaque requête, chaque image, chaque « régénérer » réveille du matériel bien réel quelque part, souvent alimenté par des réseaux encore fossiles. Voici comment continuer à utiliser l’intelligence sans la gaspiller.
1. Choisir le mode le plus léger
La plupart des outils IA proposent désormais plusieurs versions d’un même modèle. Passez en modes « lite », « fast » ou « mini » quand vous n’avez pas besoin de raisonnement profond : un simple toggle peut réduire la consommation d’énergie jusqu’à 70 %. Même logique pour la température et la verbosité : des réponses courtes et ciblées, c’est moins de tokens et moins de watts.
2. Ne soyez pas paresseux : continuez d’utiliser la recherche
Si une réponse existe déjà en ligne, allez la chercher plutôt que de solliciter un LLM. D’après des données de l’ AIE (IEA) et le Washington Post (2025), une courte requête IA peut consommer autant d’énergie que l’envoi de 30 à 50 e-mails.
3. Utiliser des modèles plus petits quand c’est possible
Toutes les tâches n’ont pas besoin d’un cerveau géant. Les modèles d’IA ont des empreintes énergétiques très différentes, surtout à cause des besoins en GPU. En novembre 2025, voici une façon pratique d’associer le bon type de modèle au bon besoin.
Corrections de grammaire, résumés et petits brouillons fonctionnent très bien sur des modèles compacts comme Gemma 2B, Phi-3 Mini, Llama 3 8B ou Mistral 7B. Pour de la réécriture ou du texte du quotidien, des outils légers comme Grammarly, LanguageTool ou QuillBot, souvent exécutés localement ou via des extensions navigateur, sont beaucoup plus efficaces que de lancer un gros LLM. Gardez les grands modèles pour le raisonnement, l’analyse ou la synthèse créative — pas pour la routine.
4. Faire tourner l’IA en local
Des modèles légers peuvent maintenant tourner directement sur des laptops ou des téléphones via des outils comme Ollama ou llama.cpp, qui supportent des modèles ouverts comme Llama 3, Mistral, Gemma ou Phi-3. D’autres apps desktop comme LM Studio ou GPT4All proposent des setups similaires pour l’inférence locale. Les modèles cloud comme ChatGPT, Claude ou Gemini ne tournent pas encore localement, même si Apple Intelligence et les PC Copilot+ traitent désormais certaines tâches IA légères directement sur l’appareil. Faire tourner des modèles en local évite des transferts vers des serveurs distants et réduit la dépendance à une infra lourde en GPU : plus propre, plus rapide et plus privé.
5. Prompter avec intention
Réfléchissez avant de cliquer sur « régénérer ». Prenez un instant pour planifier votre demande : ce dont vous avez besoin, sous quel format, et à quel niveau de détail. Des prompts bien cadrés économisent du temps et de l’énergie : moins d’essais, moins de tokens, moins de watts. Si vous ne savez pas ce que vous demandez, le modèle ne le saura pas non plus. Et si vous voulez juste une réponse rapide, dites-le : par exemple, « Donne-moi trois puces, pas plus de 50 mots chacune ». La clarté, c’est de l’efficacité.
6. Éviter les agrégateurs d’IA (pour l’instant)
Certains dashboards et « orchestrateurs » envoient votre requête à plusieurs modèles à la fois pour comparer ou fusionner des réponses. Ça paraît malin, mais ça multiplie le coût énergétique pour une seule question. Chaque modèle fait sa propre inférence GPU, même si vous ne lisez qu’un résultat au final. Des outils comme Perplexity Pro ou Mammoth AI offrent des fonctionnalités utiles pour benchmarker, mais ils dupliquent les workloads via plusieurs APIs. Tant que le routage n’est pas assez intelligent pour sélectionner dynamiquement le modèle le plus efficient, préférez des outils mono-modèle ou un choix manuel.
Des frameworks open-source comme LangFuse ou Flowise explorent déjà ce type de routage, mais la plupart des implémentations aujourd’hui font encore de l’inférence séquentielle ou parallèle, pas un dispatch réellement optimisé. Bref : évitez de réveiller plusieurs cerveaux pour répondre à une seule question.
7. Ne pas sur-générer
Les re-rolls infinis d’images, de vidéos ou de texte brûlent de l’énergie bien réelle. Choisissez, affinez, et arrêtez. Chaque « encore une version » fait tourner des GPU quelque part. La création n’est pas plus propre par répétition.
8. Préférer le texte aux visuels
Générer une image 1024×1024 peut consommer autant d’énergie que l’envoi de plusieurs centaines d’e-mails ; une minute de vidéo générée par IA peut tirer plusieurs kilowattheures, à peu près comme faire tourner un micro-ondes pendant quelques heures (MIT News, 2025). Utilisez les visuels quand ils ajoutent du sens, pas juste de l’esthétique.
9. Réutiliser vos outputs
Tenez un carnet de prompts : une simple page Notion, un Google Doc ou un wiki interne, où vous sauvegardez les prompts qui ont bien marché et les sorties que vous avez réellement réutilisées. Organisez par tâche : rédaction, nettoyage de données, génération d’images, résumés. La prochaine fois que vous avez un besoin similaire, partez de ce qui a déjà marché plutôt que de régénérer depuis zéro. C’est du recyclage numérique : plus rapide la prochaine fois, plus léger à chaque fois.
Pour aller plus loin, des outils comme Prompt Genie ou Team-GPT permettent de sauvegarder, organiser et partager des prompts entre équipes. Ce n’est pas parfait : la plupart sont pensés collaboration et workflow, pas suivi énergétique, mais c’est un bon début pour construire une bibliothèque de prompts plus durable.
10. Prendre conscience de l’IA invisible
Derrière chaque fil, playlist, boîte mail ou publicité, il y a du machine learning qui tourne en continu. Des moteurs de recommandation comme Netflix, YouTube, Spotify ou Instagram analysent des millions de points de données par seconde pour maintenir le flux, même quand vous ne regardez pas et n’écoutez pas. Les filtres mail de Gmail ou les suggestions d’achat sur Amazon font la même chose. Vous pouvez limiter un peu en désactivant la personnalisation, en coupant l’autoplay, en réduisant les notifications ou en choisissant des apps plus simples, mais la responsabilité principale revient aux entreprises qui conçoivent ces systèmes pour tourner 24/7. La prise de conscience est la première étape vers la redevabilité.
Quelle énergie consomme vraiment une action IA ?
| Action | Énergie (approx.) | Équivalent du quotidien |
|---|---|---|
| Une recherche web | 0,03–0,3 Wh | Allumer une ampoule LED pendant environ 5 secondes |
| Une requête texte IA (classe GPT-4) | 0,3–3 Wh | Envoyer 30 à 50 e-mails |
| Une image IA (1024×1024 px) | 20–30 Wh | Faire tourner un micro-ondes environ 2 minutes |
| Une minute de génération vidéo IA | 1–2 kWh | Cuire un dîner dans un four électrique pendant environ 30 minutes |
| Entraîner un grand modèle d’IA | ~1 GWh | Alimenter environ 150 foyers pendant un an |
Sources : AIE 2024–2025, Washington Post 2025, MIT News 2025, Green IT 2025
Choisir le bon modèle selon la tâche
| Cas d’usage | Type de modèle | Exemples (2025) | Profil matériel | Empreinte énergétique |
|---|---|---|---|---|
| Corrections, reformulation, petites réécritures | LLM minuscules ou “CPU friendly” | Gemma 2B, Phi-3 Mini, Llama 3 8B, Mistral 7B | Surtout CPU ou petit GPU | Environ 0,3 Wh par requête |
| Résumés, extraction, e-mails simples | Modèles moyens | Claude 3 Haiku, GPT-4 Mini, Mixtral 8x7B | GPU modéré | Environ 1 Wh par requête |
| Rapports, analyse, raisonnement complexe | Grands modèles “flagship” | GPT-4 Turbo, Claude 3 Opus, Gemini 1.5 Pro | Setups multi-GPU | Environ 2–3 Wh par requête |
| Création vidéo ou multimodale | Systèmes multi-modèles ultra lourds | Kling AI, Sora, Runway Gen-3 Alpha | Gros clusters GPU | Souvent 10–100× plus lourd que le texte |
Sources : OpenAI – System Card GPT-4o, Hugging Face – The Environmental Impact of AI, Hugging Face – AI Energy Score
III. Le côté lourd de la créativité
Les visuels génératifs sont l’endroit où l’IA passe de « malin » à franchement lourd. Une seule minute de vidéo générée par IA peut consommer autant d’énergie que faire tourner un micro-ondes pendant deux à trois heures, d’après des analyses de MIT News (2025) et des estimations compilées par le National Centre for AI (2025). Une image 1024×1024 générée par des outils comme Midjourney ou DALL·E peut consommer à peu près autant d’énergie que l’envoi de plusieurs centaines d’e-mails avec pièces jointes.
Le problème n’est pas la créativité : c’est le gaspillage. Itérations, upscales, petits ajustements et « encore une version » peuvent multiplier l’impact par dix (ou plus). Derrière chaque belle image, il y a un datacenter qui travaille dur.
Créer de manière plus responsable
- Tester d’abord en faible résolution, puis upscaler uniquement les choix finaux.
- Regrouper plusieurs variations dans une seule demande plutôt que de tout régénérer à chaque fois.
- Réutiliser des compositions de base et les éditer localement quand c’est possible.
- Pour les agences et studios : estimer l’énergie ou le carbone par asset et l’inclure dans le reporting projet.
Moins de générations, mais plus intentionnelles, donnent souvent un meilleur résultat de toute façon. La contrainte peut être un outil créatif.
IV. Sobriété IA pour les équipes
Dans la plupart des entreprises, l’usage de l’IA devient vite chaotique : outils multiples, comptes perso, aucune visibilité — et aucune idée de l’énergie ou des données consommées. L’objectif n’est pas de bloquer l’IA, mais de l’organiser.
1. Centraliser les accès
Si 200 employés utilisent chacun des comptes IA personnels, vous obtenez 200 sessions non gérées et aucun contrôle. Une instance partagée via OpenAI Enterprise, Anthropic Teams ou Microsoft Copilot Hub rassemble tout au même endroit, avec des dashboards pour suivre l’usage et optimiser la performance. Des options open-source comme Flowise ou LangFuse permettent de construire une couche IA interne qui journalise les requêtes, surveille l’usage et peut router les modèles selon des règles simples que vous définissez.
2. Mesurer avant de piloter
Utilisez les analytics intégrés pour suivre les prompts, tokens et modèles par workspace. Revoyez ces métriques régulièrement : elles sont la base du contrôle des coûts et de la conscience environnementale.
3. Former et guider
Publiez un guide court listant les outils approuvés et quand utiliser des modèles petits, moyens ou grands. Par exemple : Gemma 2B ou Claude 3 Haiku pour la rédaction, GPT-4 Mini pour l’analyse, Copilot pour les devs, Figma AI pour les designers. De bons prompts et de bons choix de modèles économisent du temps et des watts.
4. Héberger “green”
L’infrastructure compte. Hébergez votre passerelle IA chez des fournisseurs bas-carbone comme Infomaniak, Scaleway, ou dans des régions cloud alimentées en renouvelable chez AWS. Combinez ça avec du caching et du routage de modèles pour multiplier l’impact.
5. Construire une culture d’intelligence responsable
Le monitoring doit servir la durabilité, pas la surveillance. Quand les équipes comprennent comment les prompts se traduisent en coût et en énergie, elles s’ajustent naturellement. Centralisation, cache et formation transforment l’usage de l’IA : d’un drain en pratique collective optimisée.
Chaque requête IA, isolée, semble inoffensive. C’est l’accumulation qui crée le problème. Et cette même accumulation, si l’on change nos habitudes, peut aider à le résoudre. La Green AI n’est pas une interdiction de l’intelligence : c’est apprendre à la faire vivre dans les limites planétaires.
Prompts plus intelligents, modèles plus petits, moins de retries, moins de générations « vanity ». Si des millions de personnes utilisent l’IA un peu plus consciemment, la différence devient visible à l’échelle du réseau électrique. La planète n’a pas besoin que vous arrêtiez de créer. Elle a besoin que vous réfléchissiez avant de cliquer.
Références
- IEA (2025) – Energy demand from AI
- IEA – Data centres and data transmission networks
- Washington Post (2025) – “ChatGPT is an energy guzzler”
- MIT News (2025) – Generative AI’s environmental impact
- Green IT (2025) – Impacts environnementaux et sanitaires de l’intelligence artificielle
- Deloitte (2025) – GenAI power consumption and sustainable data centers
- The Guardian (2025) – AI and data centre power
- The Guardian (2025) – AI and data centre power
- OpenAI – System Cards and model documentation
- Hugging Face – Benchmarks and efficiency discussions
- Tripp et al. (2024) – Measuring energy consumption of deep neural networks
- NVIDIA Research – Blackwell and data center architectures
- llama.cpp – LLM inference on CPU
- MLC AI – Machine learning compilation for efficient devices
- Intel – Gaudi 3 accelerator overview